Partage de production : une stratégie à manier avec discernement
Le Congo semble s’engager dans un mouvement de fond : étendre le mécanisme du partage de production à l’ensemble des secteurs extractifs. Historiquement conçu pour le pétrole, ce modèle inspire désormais le Code forestier de 2020 et alimente les réflexions entourant les futurs codes gazier et minier. Un tel tournant doctrinal mérite d’être examiné avec rigueur, car l’efficacité d’un outil dépend toujours du secteur auquel il s’applique.
Le pétrole : un secteur où le partage de production trouve une certaine justification
Dans l’industrie pétrolière, le partage de production a longtemps été cohérent. D’abord parce que le secteur dispose de standards internationaux clairs, d’un marché mondial transparent, d’un prix de référence incontestable et d’une longue expérience contractuelle.
Ensuite, et c’est un point essentiel, parce que le Congo dispose d’une raffinerie, la CORAF, capable d’absorber une partie du brut revenant à l’État. L’existence de ce débouché local permettait de valoriser directement une partie de la part étatique, ce qui donnait du sens au mécanisme.
Mais ce modèle lui-même est désormais remis en cause, notamment sous l’impulsion des bailleurs internationaux. Ceux-ci considèrent que le brut congolais fourni à la CORAF constitue une forme de subvention déguisée, car il ne serait pas payé au prix du marché international. On exige donc de plus en plus que la CORAF achète systématiquement le brut au prix mondial, en le réglant de manière régulière et transparente.
Dès lors, une question stratégique apparaît : si la CORAF doit acheter son brut comme n’importe quelle raffinerie commerciale, quel est encore l’intérêt du partage de production dans le pétrole ?
Pourquoi ne pas laisser jouer librement le marché, vendre tout le brut au prix international, renforcer la fiscalité et utiliser les recettes publiques pour financer la politique énergétique ? C’est précisément ce raisonnement que nous préconisons dans d’autres filières, notamment dans l’exploitation forestière.
Le cas du secteur forestier : un exemple de mauvaise transposition
Le Code forestier de 2020 a introduit une variante du partage de production dans un secteur qui n’y est absolument pas adapté. Contrairement au pétrole :
Résultat : depuis l’adoption de ce mécanisme, l’activité forestière décline
Les opérateurs sont déstabilisés, les investissements ralentissent, les marges se contractent et la compétitivité régionale se dégrade. Voilà l’exemple même d’une réforme menée avec de bonnes intentions, à savoir capter davantage de valeur, mais qui, mal conçue, détruit au final de la valeur et démobilise les investisseurs.
La vraie question : quel doit être le rôle de l’État ?
Au-delà du débat technique, une problématique centrale doit être posée : la participation directe de l’État dans la production n’est-elle pas une source de lourdeur et d’inefficacité ?
L’expérience montre que la présence étatique au capital entraîne :
Dans des industries où chaque mois compte, cette lenteur opérationnelle constitue un handicap majeur.
La vérité est simple : la production est un métier d’opérateurs privés, pas d’administrations publiques.
L’État doit réguler, orienter, fixer la norme, percevoir l’impôt, mais pas gérer des entreprises dans un environnement où la performance dépend de rapidité et de discipline industrielle.
Promouvoir un capital local privé plutôt qu’un capital public omniprésent
Les codes prévoient généralement qu’un pourcentage du capital soit réservé aux capitaux nationaux. Dans la pratique, cette “participation locale” est souvent absorbée par des entités publiques.
Nous appelons clairement à inverser cette logique : la part réservée aux nationaux devrait revenir exclusivement au secteur privé congolais, afin de créer de véritables champions nationaux capables de co-investir avec les multinationales, d’apporter de la valeur localement et de structurer notre économie.
Agir sans dogmatisme et préserver la stabilité
Le partage de production peut avoir sa place, mais seulement là où il est pertinent économiquement. Dans d’autres secteurs, un meilleur calibrage fiscal, une régulation renforcée ou une amélioration des concessions est plus efficace. L’enjeu est d’éviter une réforme systémique qui, mal calibrée, pourrait détruire de la valeur et faire fuir les investisseurs, comme cela se profile déjà dans la filière forestière.
Une condition reste intangible : la stabilité du cadre réglementaire, fiscal et douanier. Changer les règles en plein contrat, c’est remettre en cause la rentabilité des projets et saper la confiance du secteur privé.
En définitive, le partage de production n’est ni un remède universel ni un symbole de souveraineté. C’est un outil parmi d’autres. Le Congo gagnera davantage à renforcer sa fiscalité, à encourager le co-investissement privé-privé, à réduire la lourdeur de la gouvernance publique et à choisir pour chaque secteur le modèle qui maximise la valeur ajoutée, sans dogme, sans précipitation et avec une priorité : préserver l’attractivité et la création de valeur.
Par Michel DJOMBO, Président d’UNICONGO
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